mercredi 15 décembre 2010

Un bonheur de stage

Intensification du travail et perte de sens

La question de la dégradation des conditions de travail est régulièrement revenue dans l'actualité de ces derniers mois. On pense en particulier au triste épisode des suicidés de France Télécom. Plus largement, les études montrent que la France est un des pays avec la productivité horaire la plus élevée au monde. Nous peinons de plus en plus à innover. Alors, dans un réflexe de peur face aux changements du monde, nous trouvons refuge dans la standardisation des procédures. Notons que l'outil informatique est ici d'un précieux soutien : les ERP sont des contre-maîtres sans pareil. J'entendais même récemment parler d'entreprises où les employés étaient obligés de contourner les procédures pour pouvoir faire leur travail. Si vous vivez cette mésaventure, ne vous faîtes pas trop d'illusions sur l'avenir de votre entreprise, ça va pas s'améliorer, je vous conseille plutôt la grève du zèle et puis de trouver autre chose... Les enquêtes d'opinion (ça vaut ce que ça vaut...) confirme ce malaise au travail.


En réalité, il est double. Nous vivons à la fois une intensification du travail et une perte de sens. Ces problèmes sont présents à tous les niveaux hiérarchiques, même pour les diplômés de Sciences Po. Je ne prendrai que deux exemples, sans aller dans les cas extrêmes et bien connus de la finance et de la banque. D'abord, une expérience personnelle : les stages administratif ou politique, c'est inintéressant au possible, tant cela se résume à un surplus de main-d'œuvre pour remplacer les postes non pourvus en secrétariat. Pour une fois et sur ce point précis des conditions de travail (je ne suis pas d'accord avec eux sur les faibles rémunérations, qui ne sont pas systématiques), les jeunes socialistes n'ont pas tort (voir page 7 § 1). Mais nous pouvons aussi parler du privé. Nombre de mes camarades ont fait des stages très bien rémunérés en cabinet d'avocats (entre 1500 et 2000 euros par mois, alors qu'ils n'ont même pas encore le pré-CAPA). Aujourd'hui, à Paris, il n'y a quasiment plus que de trés gros cabinets internationaux. Ils ont besoin de main-d'oeuvre compétente et n'hésite pas à la rémunérer fortement pour faire un boulot de tâcheron jusqu'à pas d'heures (22 h au moins tous les soirs...). C'est l'exemple même d'une entreprise privée qui s'est bureaucratisée à l'extrême et qui utilise des jeunes diplômés en situation de sur-qualification.


"Une bonne planque !"

Rien de ce que j'ai décrit précédemment ne m'intéresse : ni d'être sur-payé pour un boulot abrutissant, ni de me contenter de la satisfaction illusoire de travailler pour un intérêt général bien dilué... Mais étant étudiant en Master à Sciences Po, j'ai consacré le début de mon année 2010 à la recherche d'un stage de fin d'études obligatoires. J'ai finalement trouvé mon stage à Sciences Po même par l'intermédiaire d'un de mes professeurs. J'ai donc débuté le 23 septembre en tant que chargé de mission "Communauté numérique" au médialab de SciencesPo.

Mes camarades affichent encore un ton moqueur par rapport à cet emploi. Je n'ai que deux jours de présence obligatoire au bureau (9h30 - 12h30 / 14h - 17h30). Ils en concluent que je ne fais rien. Pour eux, j'ai trouvé "une bonne planque". D'autant plus que je suis payé (ce n'est pas énorme, légèrement au-dessus du seuil légal). Ajoutez à cela les remarques sur le manque d'exotisme de mon employeur : comme si aller dans un ministère de la rue de Varenne ou un cabinet d'avocats place de la Madeleine, c'était exotique ! Ou comme si on était obligé de s'expatrier à l'autre bout de la planète pour trouver une activité intéressante.

Je le vis différemment !

Je trouve pour ma part de nombreux points de satisfaction dans ce stage. Et plus j'avance, plus c'est stimulant.

Le premier élément positif, c'est l'entreprise dans laquelle je fais mon stage. Sciences Po est une institution de 800 salariés et environ 10 fois plus d'étudiants qui bénéficie d'une renommée mondiale, grâce à son histoire mais aussi de part la capacité qu'elle a eu ses dix dernières années, à évoluer sur les plans de l'internationalisation, de la diversification et de la professionnalisation. Plus mobile qu'une administration, moins incertaine qu'une start-up, elle est un formidable terrain pour expérimenter la conduite du changement numérique, pour apprendre à mettre en place des réformes acceptées, financées et efficaces. Le passage au numérique ne fait pas partie des premières priorités de l'établissement, le développement de formes de travail plus collaboratives et transversales ainsi que leur équipement par des outils adaptés encore moins. Ce changement là n'est ni refusé ni demandé par les salariés, l'intérêt s'en trouve augmenté puisqu'il faut expliquer son intérêt, son importance et réussir à fédérer des aspirations parfois contradictoires autour d'une solution unique.

Le second élément, ce sont mes conditions de travail. C'est pour moi un élément primordial. La possibilité de travailler à domicile ou ailleurs 3 jours par semaine sur 5 est un point essentiel. Mon efficacité est bien plus importante chez moi et quand je peux travailler à l'heure où je souhaite. Deux points viennent réguler cette situation : l'obligation de travailler au bureau deux jours par semaine (cela permet de faire partie d'une équipe et de ne pas oublier qu'on a un boulot !) et un briefing hebdomadaire avec mon maître de stage au cours duquel on effectue une revue complète de mes travaux récents et on établit mes objectifs pour la semaine à venir. Au départ, je veux bien reconnaître que j'étais légèrement désorienté et sous-productif (il m'a fallu 2 ou 3 semaines pour me fondre dans le poste et comprendre mes missions) mais l'autonomie dont je dispose dans mon travail m'a permis de trouver du sens dans mon travail et ainsi de m'y impliquer de plus en plus. Ma capacité de création, d'initiative et de travail en équipe avec des gens qui à tous les niveaux de la hiérarchie me considèrent positivement et me donnent des responsabilité, vont progresser sans difficulté. C'est de cela dont les entreprises ont aujourd'hui besoin.

Le troisième, c'est mon maître de stage. C'est un universitaire. Pas la même chose qu'un administrateur pur jus ou qu'un entrepreneur classique épris de son seul profit. Il sait laisser la place au temps long pour obtenir des résultats. Sa connaissance des enjeux politiques du numérique, la matière sur laquelle je travaille permet de rajouter une dimension théorique à mon travail, ce qui n'est pas négligeable, tant de stages étant abrutissants au possible. Enfin, mes missions me permettent de découvrir la gestion de projets avec des gens expérimentés et didactiques et d'apprendre à monter des communautés. Conclusion : Je n'ai pas à laisser ma libido sciendi à la maison.

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